Le 26 mai est la fête de saint Philippe Néri, co-patron de Rome et saint à qui la chrétienté doit tant.
La vie
Florentin d'origine (il est né en 1515), il se rendit à Rome à l'âge de dix-neuf ans et ne la quitta plus, menant pendant une dizaine d'années une vie laïque austère, faite de prières intenses (qu'il alternait avec un travail de précepteur pour les enfants). Il passa des nuits entières à veiller dans les catacombes de Saint-Sébastien, où, en 1544, à la veille de la Pentecôte, il fut le protagoniste d'un événement sensationnel : un orbe de feu - dit-on - pénétra dans sa poitrine par sa bouche.
À partir de ce moment-là, il a commencé à manifester une anomalie physique : son cœur battait fort et irrégulièrement, audible pour son entourage, et à sa mort, l'examen de son corps a révélé que ses côtes s'étaient arquées vers l'extérieur, précisément à cause de la pression de son cœur, qui s'était dilaté deux fois et demie plus que la normale (ce qui aurait rendu sa survie impossible, alors que Neri a vécu 50 ans dans ces conditions).
À partir de cette Pentecôte, Philippe a intensifié son travail d'évangélisation de la réforme "par le bas" : il fréquentait les jeunes adultes et les professionnels (et non les enfants ou les adolescents, comme on le pense souvent), il allait dans les hôpitaux, les prisons, les places publiques, les marchés, s'approchant des gens avec simplicité et un style direct, ironique, mais toujours profond.
Malgré de nombreuses réticences, il est ordonné prêtre en 1551, à l'âge de 36 ans, et exerce alors son ministère avec beaucoup de dévouement (il passe jusqu'à dix heures par jour au confessionnal).
Grand admirateur du dominicain Girolamo Savonarola, il se distancie de son rigorisme : pour lui, ce ne sont pas les pénitences, les dévotions et les mortifications excessives, mais la joie, la simplicité et l'auto-ironie qui sont des antidotes à l'orgueil et une aide efficace à la croissance spirituelle.
Ami et conseiller de plusieurs papes, il meurt le 26 mai 1595. Il a été canonisé en 1622 avec Ignace de Loyola et François Xavier (ses amis et compagnons à Rome), Thérèse d'Avila et Isidore du Labrador.
L'héritage
Bien que de caractère effervescent, Philippe Neri aimait la discrétion et s'efforçait toujours de détourner l'attention de sa personne, comme le font les vrais leaders (l'anthropologue Paulo Pinto définit le détachement comme le transfert du charisme d'un leader spirituel à sa communauté après sa mort, lorsque les adeptes s'unissent autour des valeurs qu'il incarnait, et non de sa personne). En effet, bien plus célèbres que lui sont les laïcs qui ont grandi, humainement et spirituellement, sous son égide. Il suffit de penser à des musiciens comme Giovanni P. da Palestrina ou Giovanni Animuccia (le prêtre et compositeur espagnol Tomás Luis de Victoria a également fréquenté l'Oratorio).
Une autre figure "oratorienne" mérite d'être mentionnée, en plus du saint prêtre John Henry Newmanest le grand architecte espagnol Antoni Gaudí, dévot de saint Philippe Néri et laïc assidu à l'Oratoire de Barcelone (il a été renversé par un tramway alors qu'il se rendait à la prière du soir), dont le procès de béatification est en cours.
En résumé, Neri se caractérisait par une spiritualité empreinte de jovialité, mais aussi de non-conformisme envers sa propre personne ou envers une norme préconçue. En fait, il n'a jamais voulu être considéré comme un "fondateur", soulignant plutôt que la sainteté est accessible à chacun selon ses propres caractéristiques et que la véritable réforme spirituelle, ainsi que la véritable pénitence, commencent par l'amour, le sourire, l'acceptation de sa propre vie et de celle des autres pour ce qu'elles sont et non pour ce que l'on voudrait qu'elles soient.
L'oratoire
La Congrégation de l'Oratoire, née officiellement en 1575, était une institution nouvelle pour l'époque, destinée à garantir une forme stable à la communauté sacerdotale qui s'était développée autour de Philippe Néri, dans laquelle les prêtres vivaient en communauté mais sans vœux religieux, afin de se consacrer au service des laïcs et aux besoins de l'apostolat de l'Oratoire.
Dans une Rome encore marquée par le sac de 1527 et par une crise morale et religieuse généralisée, Philippe, encore laïc, avait en effet "inventé" l'Oratoire pour favoriser un rapport quotidien avec Dieu et avec ses frères dans la foi, caractérisé également par des réunions de prière avec des amis dans sa petite chambre de l'église de San Girolamo della Carità (où il habitait). Oratorio, en effet, vient du latin "os", bouche, pour indiquer le rapport intime, bouche à bouche, entre Dieu et l'homme. Dans ces rencontres quotidiennes, la Parole de Dieu était traitée familièrement et partagée, avec la participation active des laïcs (et non comme des auditeurs passifs, comme dans les homélies de la messe) dans la prière, la réflexion et le partage, ce qui était inédit à l'époque (comme l'était la messe quotidienne).
Musique
L'un des traits distinctifs de l'oratorio est sa musique. On parle d'ailleurs de musique "oratorienne", et même de Philippe Néri comme précurseur du genre musical connu sous le nom d'oratorio.
Le génie de Philippe est d'avoir compris que la musique est un langage universel et favorise la diffusion du message évangélique, même parmi les classes populaires qui étaient alors analphabètes et incapables de comprendre le latin ou la musique liturgique. C'est pourquoi il commença à utiliser des chants et des mélodies célèbres à l'époque, en modifiant souvent leurs vers ou leur écriture, ou en en faisant écrire de nouveaux.
De cette idée est né le genre musical de l'oratorio (souvent une alternative sacrée à l'opéra), dont les compositeurs les plus célèbres sont Carissimi, Charpentier, Haydn et, dans les milieux protestants, Haendel (son oratorio le plus célèbre : "Le Messie") et Bach ("Passion selon Saint Matthieu" et autres).
Les gens sont souvent convaincus que réintroduire des formes musicales baroques (ou de niche, comme le folklore) dans le public contemporain revient à revenir sur les pas de saint Philippe Néri - rien n'est plus faux. Ces œuvres sont certainement des chefs-d'œuvre musicaux, mais l'idée originale est de parler aux gens dans un langage qui leur est familier, de sorte que la musique pop/rock, ou la musique musicale, dans le domaine non liturgique, sont les formes qui se rapprocheraient le plus de ce que Philippe pensait. C'est un peu ce que font aujourd'hui un certain nombre de groupes protestants ou catholiques (surtout charismatiques) : musicalité contemporaine, chants composés et arrangés par des professionnels, textes et significations chrétiennes. Mais tout cela en dehors de la messe, là où, justement, il y a la possibilité de "faire de l'oratorio".
Dévotion moderne
Philippe Neri est un enfant de la dévotion moderne, un mouvement de renouveau spirituel aux XIVe et XVe siècles qui cherchait à construire une religiosité plus intime et subjective, une "spiritualité individuelle", par opposition à la piété collective du Moyen-Âge.
Sa naissance est due en particulier à Geert Groote (1340-1384), diacre et prédicateur catholique néerlandais, qui adopta comme Magna Carta le livre de Thomas de Kempis L'Imitation du Christ, qui mettait l'accent sur l'importance du recueillement et de la prière individuelle, de la lecture personnelle de la Bible et de l'imitation du Christ dans la vie ordinaire : le mysticisme incarné dans la réalité. Ce mouvement s'est également concentré sur l'apostolat des laïcs, s'étendant de la Hollande à la Belgique, à l'Allemagne et à la France, puis à l'Espagne et à l'Italie, et influençant certains des piliers de la Contre-Réforme catholique : Jan van Ruusbroec, Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Ignace de Loyola et, bien sûr, Philippe Néri, dont François de Sales fut le continuateur. Ces deux derniers inspirèrent plus tard à saint Josémaria Escriva de fonder l'Opus Dei.
Le concept de dévotion moderne a trouvé sa légitimation définitive avec le Concile Vatican II et l'exhortation apostolique "...".Christifideles Laici"Jean Paul II.
Philippe Néri, comme tant de saints avant et après lui, était l'un de ces leaders, ou pères dans la foi, auxquels Paul incite à se référer en regardant le résultat de leur vie dans l'imitation de leur foi (et non pas en les imitant directement, donc). Je dirais même qu'il était un "Homo sapiens" par excellence, si l'on se souvient que l'être humain, fait de terre (humus), est aussi sapiens (du latin "sapere"), terme qui indique, plus que l'érudition, la sagesse : le fait d'avoir et de donner du goût.
Les trois H
Dans sa vie, nous trouvons ce que j'appelle "les trois H" : "humilitas" ; "humanitas" ; "humour". Ce sont les trois ingrédients qui permettent d'être "homo sapiens", donc des hommes et des femmes qui ont et donnent du goût (et de la sagesse), et ils dérivent tous de la même racine latine, "humus", qui est aussi la racine de "homo" (homme) :
"Humilitas" (humilité) : conscience de sa propre limite. Bien qu'étant fait de terre, pauvre et sans défense face à l'âge, à la mort et à Dieu, il faut être conscient de sa nature divine, avec la dignité qui s'y rattache. La véritable humilité est donc un juste équilibre entre la terre et le ciel, un sain réalisme ;
"Humanitas" (humanité) : conséquence de l'humilité, c'est le respect de soi-même et des autres qui ne peut venir que de la connaissance de soi en relation d'abord avec Dieu et ensuite avec le prochain. Ce n'est qu'avec humilité et humanité (relation) que l'on peut être un don pour les autres ;
"L'humour : la véritable humilité, associée à la joie de la relation avec les autres, mais surtout au bonheur d'être regardé et aimé par Dieu (qui "a regardé l'humilité de ses serviteurs"), conduit à une inévitable légèreté : on ne se prend pas trop au sérieux et, quand on fait des erreurs, on se pardonne et on avance, en riant de ses propres fautes et de celles des autres, mais un rire qui n'est pas de la moquerie ou de la dérision, mais simplement "un regard qui se ferme".