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Yal Le Kochbar : "Mes chansons portent les blessures et l'espoir".

Yal Le Kochbar est un rappeur de la République démocratique du Congo qui souhaite apporter de l'espoir à la jeunesse de son pays par le biais de la musique.

Gabriel González-Andrío-7 juin 2025-Temps de lecture : 7 minutes

La pauvreté, les guerres, le manque d'opportunités et un taux de chômage des jeunes d'environ 53 % ont poussé des dizaines de jeunes à quitter le pays. République démocratique du Congo (RDC) de gagner leur vie en se lançant dans l'aventure professionnelle. La musique est devenue l'un des débouchés les plus recherchés dans un pays de 102 millions d'habitants, où 59 % de la population a moins de 24 ans. Yal Le Kochbar - réfléchi et élégant - est le nom de scène de Bekeyambor Utempiooh Aliou, mais il s'est longtemps fait appeler "Aliou Yal". Il est l'un des nombreux jeunes Congolais qui tentent aujourd'hui de percer en tant qu'artiste émergent au milieu d'un paysage sombre. "Il n'y a pas d'industrie ici, c'est pourquoi la politique, le show-business et le divertissement sont devenus les industries d'aujourd'hui".dit-il.

Il est né à Goma, dans l'est de la RDC, le 10 juin 1997, alors que le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) s'apprêtait à prendre le contrôle de la ville de Goma. Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) est entrée dans le pays au milieu de la guerre. L'AFDL était une coalition de dissidents congolais et de diverses organisations ethniques qui s'opposait à la dictature de Mobutu Sese Seko et était à l'origine de son renversement.

"J'ai vécu la guerre avec ma mère et mes frères. Nous sommes finalement rentrés à Kinshasa en 1999".rappelle-t-il. Depuis 1996, les guerres du Congo ont fait six millions de morts.

Yal est le chef d'une famille de six frères et sœurs : deux garçons et trois filles. "L'histoire de ma famille est marquée par le traumatisme de la guerre, dont les blessures invisibles se font encore sentir aujourd'hui. La guerre est une chose terrible, elle détruit non seulement des vies mais aussi l'innocence, et ce qu'ont vécu ma mère, mes frères et mes sœurs m'a marqué à jamais".dit-il.

Il y a quelques années, il a décidé de prendre un virage professionnel pour entrer dans le monde de la musique et commencer à composer et à chanter des chansons. Nous avons commencé la conversation en parlant de ce hobby...

D'où vient votre amour de la musique ? Pourquoi le rap ?

-Mon amour de la musique a commencé à l'âge de 14 ans, par besoin d'évacuer ma douleur. Au début, j'écrivais des textes sans prétention pour apaiser un cœur lourd. À mes débuts, je ne savais ni chanter ni rapper. La musique était mon échappatoire à un monde dur, injuste et souvent incompréhensible.

Lorsque j'étais enfant, j'ai souvent manqué du nécessaire à la maison, malgré un père qui intervenait, surtout pour les besoins de base (école, santé, nourriture...), mais sans véritable amour ni présence affectueuse. Notre mère, simple femme au foyer, luttait seule pour que nous ayons tout ce dont nous avions besoin.

J'écoutais beaucoup de rap, surtout les textes qui dénonçaient la misère sociale et familiale. Cela m'a beaucoup marqué. À 17 ans, j'ai écrit ma première chanson. À 19 ans, j'ai publié une chanson qui a fait un tabac dans mon quartier, même si, au fond, je n'aimais pas la popularité ; je voulais juste dire la vérité, laisser sortir ce qu'il y avait en moi.

Que voulez-vous transmettre à travers les paroles de vos chansons ?

À travers ma musique, je veux transmettre la lumière, la conscience de soi, la vérité sur la vie, le besoin d'unité et l'amour universel.

Mon message est simple : tout est un. Nous sommes tous reliés à la même source divine et il est vital d'agir avec amour, respect et vérité.

Mes chansons portent à la fois les blessures de mon passé et l'espoir d'un monde où chacun peut trouver sa place dans l'harmonie.

Avez-vous des références musicales congolaises à succès ?

-Il y en a beaucoup, mais en tête de liste et comme source d'inspiration pour d'autres musiciens, il y a Fally Ipupa.

Vous m'avez dit que vous étiez désormais catholique, qu'est-ce qui vous a poussé à franchir ce pas ?

-Ma conversion au catholicisme est récente. Elle est le fruit d'une longue recherche spirituelle. Après avoir souffert d'une grave maladie (calculs rénaux) en 2022, j'ai demandé à Dieu, et à Jésus en particulier, de se manifester s'il existait vraiment.

Il m'a répondu. Ce fut le début d'une nouvelle relation pour moi : non plus basée sur la demande de miracles, mais sur une relation authentique d'amour, de service et d'unité.

Mon parcours de réflexion m'a amené à comprendre que l'Église catholique incarne ces grandes vérités : l'unité (l'Église est une), l'universalité (l'Église est catholique) et la mission de servir les autres (l'Église est apostolique).

Aujourd'hui, je suis fier d'avoir trouvé en moi la foi, les œuvres et l'amour réconciliés.

Comment votre vie chrétienne influence-t-elle votre travail quotidien ?

-Ma vie chrétienne est devenue mon moteur intérieur. Elle me pousse à servir avec amour, à travailler dur, parce que je sais que la paresse est un péché, et que nous sommes appelés à être la lumière du monde.

Dans mon travail quotidien, j'essaie toujours de respecter la dignité humaine, d'apporter de la lumière partout où je vais, de semer l'espoir à travers mes œuvres, petites ou grandes.

Souhaitez-vous devenir musicien professionnel ou avez-vous d'autres activités pour vous soutenir financièrement ?

-La musique est une passion et une vocation que je prends très au sérieux.

J'ai suivi un cours de chant d'un an à l'Institut national des arts (INA) pour parfaire mon flow rap/chant. Mais j'ai vite compris que pour vivre de l'art, il fallait des bases solides, et je me suis donc toujours formé en parallèle.

En 2016, j'ai intégré l'Université catholique du Congo (UCC) en communication sociale. Ma vision était claire : acquérir une formation solide pour pouvoir produire ma propre musique et ne pas sombrer dans les antivaleurs par manque de moyens.

A la fin du cours, j'ai effectué un stage d'un mois au Service National de Vulgarisation Agricole, dans le cadre du projet "Développement des capacités du Centre National de Vulgarisation Agricole", en partenariat avec la KOICA (une agence gouvernementale sud-coréenne).

J'ai suivi un cours de formation des formateurs (TOT), qui promettait des perspectives de carrière passionnantes. Mais la pandémie de Covid-19 en 2019 a tout arrêté : le projet a été suspendu, l'administration a été paralysée et toutes les opportunités de carrière l'ont été aussi.

Pire encore, par manque de ressources financières, je n'ai pas pu payer à temps les frais de mon travail de fin d'études. J'ai donc dû interrompre mes études sans obtenir mon diplôme universitaire.

C'était un véritable coup dur et une fois de plus, mon cœur était brisé. Après cette épreuve, j'ai sombré dans la dépression, errant dans les rues sans but précis, jusqu'à ce qu'un ami, devenu depuis un frère, Allegria Mpengani, me tende la main.

Il m'a invité à participer à son ambitieux projet : le premier Salon du livre du Kongo-Central (Salik). Je suis parti à Matadi en 2020, trouvant dans l'organisation du Salik une renaissance intérieure.

J'ai servi pendant trois ans, de 2020 à 2023, d'abord en tant que responsable de la logistique puis, pour la dernière édition, en tant que vice-président, gérant toute la programmation en l'absence d'Allegria, qui avait d'autres engagements à Kinshasa.

A Matadi, j'ai coordonné une équipe formidable, clôturant le spectacle par un concert populaire réunissant de nombreux artistes urbains. Cette expérience m'a donné une nouvelle impulsion artistique.

Un an après mon retour à Kinshasa, j'ai sorti mon premier single officiel intitulé "Les Achetés", disponible sur toutes les plateformes.

Parallèlement, fidèle à mon principe d'autonomie et de service, j'ai suivi une formation professionnelle à l'Institut Supérieur en Sciences Infirmières (ISSI) de l'hôpital Monkole pour devenir aide-soignante, dont le coût est subventionné par le gouvernement de Navarre (Espagne).

Aujourd'hui, en 2025, je construis ma vie entre la musique de la lumière, porteuse du message "One" (unité, vérité, amour divin), et mon engagement au service des êtres humains, dans les soins et l'accompagnement. Plus tard, je suivrai une formation en logistique pour soutenir l'expérience professionnelle que j'ai acquise à Salik ces 3 dernières années, et enfin pour terminer mon diplôme en communication sociale.

Avez-vous envisagé de quitter le Congo et de chercher des opportunités à l'étranger ?

-Oui, je l'ai envisagé. Non pas pour fuir, mais pour m'épanouir pleinement et laisser briller la lumière qui est en moi. Je rêve de continuer à me former, à créer et à m'améliorer dans des environnements où l'art est soutenu, où les rêves ne sont pas systématiquement étouffés par la pauvreté ou l'indifférence.

Que pensez-vous de la fuite des talents congolais vers d'autres pays ?

-Je comprends la douleur qui pousse les personnes talentueuses à partir. Nous rêvons tous d'un pays qui croit en ses enfants, qui investit dans leur avenir radieux.

Malheureusement, tant que l'indifférence, la corruption et le manque de vision collective prévaudront, beaucoup continueront à chercher ailleurs ce qu'ils n'ont pas ici.

Y a-t-il une solution à la guerre qui fait rage dans l'est du Congo ? Il semble qu'un accord de paix soit plus proche...

-La guerre est une tragédie. Elle détruit plus que des vies, elle détruit des générations entières, l'âme d'un peuple. Je suis né pendant la guerre à Goma et j'en ressens encore aujourd'hui les cicatrices invisibles dans ma famille.

J'espère de tout cœur que la paix sera enfin réelle, et pas seulement signée, et qu'elle guérira les blessures de l'Est et du Congo tout entier.

Quelles sont les personnes qui ont le plus influencé votre vie ?

-Mes influences les plus importantes sont ma mère, une femme forte et aimante qui a porté sur ses épaules le poids de notre survie et de notre dignité, mon frère aîné Stéphane et mes sœurs. 

Et, bien sûr, mes amis, qui sont devenus comme des frères pour moi en m'emmenant travailler à la Foire du livre du Kongo Central. Allegria a aussi changé ma vie ; elle m'a sauvé d'une spirale dépressive et m'a ramené à la lumière, comme je l'ai dit.

Il y a aussi Christian Lokwa, grâce à qui je suis retourné à l'Eglise, j'ai été confirmé et j'ai reçu ma première communion lors de la veillée pascale du 19 avril 2025 à la cathédrale Notre Dame du Congo.

Alliance Mawana, qui vit en Géorgie, a été déterminant pour son soutien moral et financier. C'est lui qui m'a formé au monde de la musique, au rap et à ce jour il est toujours avec moi et croit en moi, tout comme Diego Madilu, Jokshan Kanyindq et Jude David Mulumba.

Je voudrais aussi mentionner Joshua Margot, sans qui la foi chrétienne serait un mauvais souvenir et je n'aurais pas eu le désir de chercher Dieu. Il a été au début de ma recherche intérieure.

Et surtout, à Dieu, dont l'amour inconditionnel m'a relevé chaque fois que je suis tombé.

Si vous étiez ministre de la Culture de la République démocratique du Congo, encourageriez-vous un soutien accru aux jeunes talents comme vous ?

-Bien sûr que je le ferais. Je créerais des centres de formation accessibles, un véritable soutien à la production artistique et des espaces où les jeunes pourraient créer, apprendre et grandir sans avoir à mendier ou à s'exiler.

La culture est un atout immense pour un pays ; elle doit être soutenue, promue et protégée.

Pensez-vous que la corruption est endémique en Afrique et en RDC ? Est-il possible de changer les choses ?

-Oui, la corruption ronge nos sociétés, mais je crois au changement. Il commence dans le cœur des individus. 

Tant que nous n'aurons pas compris que nous sommes tous unis par la même lumière divine, nous continuerons à trahir notre propre peuple pour des gains éphémères.

Le changement est possible, mais il nécessite de l'éducation, un leadership exemplaire et un véritable amour de la patrie.

Comment vous faites-vous un nom à l'intérieur et à l'extérieur de la CRD ?

-Je me fais progressivement connaître grâce à ma musique, qui est disponible sur toutes les plateformes.

Je développe également ma présence sur les médias sociaux et j'ai confiance en mon travail pour toucher les cœurs, quelle que soit la distance.

Mon projet Musique de lumière est conçu pour transcender les frontières : il est fondé sur l'universel.

Quel message donneriez-vous aux jeunes compatriotes qui ne veulent plus rêver d'un avenir meilleur ?

-Je leur dirais : ne renoncez jamais à la lumière qui est en vous. Même lorsque le monde semble s'écrouler, même lorsque la solitude et l'injustice vous frappent, rappelez-vous que votre existence a un sens profond.

Nous sommes faits pour aimer, pour construire, pour unir. Nous devons nous battre avec foi, travail et persévérance.

L'auteurGabriel González-Andrío

Kinshasa

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