Avant d'illustrer brièvement ce que nous savons jusqu'à présent sur les quatre Évangiles canoniques, lisons les belles paroles de saint François de Sales, Docteur de l'Église, à propos de l'importance du mot "évangile" et de la tradition orale et de la prédication pour la transmission de la foi (nous en avons déjà parlé en article précédent sur la catéchèse) :
Toute la doctrine chrétienne est elle-même une Tradition. Car l'auteur de la doctrine chrétienne est le Christ Notre Seigneur lui-même, qui n'a écrit que quelques caractères alors qu'il remettait les péchés à la femme adultère. [A fortiori, le Christ n'a pas commandé d'écrire. C'est pourquoi il n'a pas appelé sa doctrine "Eugraphie", mais l'Évangile, et cette doctrine, il a ordonné de la transmettre surtout par la prédication, car il n'a jamais dit : écrivez l'Évangile à toute créature ; il a dit au contraire : prêchez-le. La foi ne vient donc pas de la lecture, mais de l'audition.
Dans l'article précédent, nous avons évoqué certains chercheurs qui proposent d'avancer la date "officielle" de la composition des Évangiles. Selon la plupart des experts, en effet, ces écrits dateraient de la seconde moitié du premier siècle, c'est-à-dire, en tout cas, de l'époque où de nombreux témoins oculaires des événements relatés étaient encore en vie. Toutefois, ils s'appuieraient sur des sources encore plus anciennes, telles que ce que l'on appelle les source Q (de l'allemand quelle(la "source"), dans laquelle Luc et Matthieu auraient puisé une grande partie de leurs informations, et que plusieurs spécialistes identifient à une version antérieure de Marc, et la lógia kyriaká (paroles sur le Seigneur).
Les évangiles synoptiques
Ils sont appelés ainsi parce qu'ils racontent de nombreuses histoires sur Jésus en utilisant presque les mêmes mots. En fait, ils peuvent être lus en plusieurs parties d'un seul coup d'œil (synopsis), tant en grec que dans les traductions en langues courantes. On se demande souvent dans quelle langue ils ont été écrits.
Jean Carmignac (1914-1986), prêtre catholique français et bibliste, a été un grand exégète et traducteur des manuscrits de la mer Morte, dont il était l'un des plus grands spécialistes mondiaux. Grâce à sa connaissance du sujet, Carmignac s'est rendu compte que le grec de ces évangiles était étonnamment similaire au type d'hébreu utilisé dans les manuscrits de Qumran (jusqu'en 1947, on pensait que la langue hébraïque en Palestine s'était éteinte à l'époque de Jésus, alors que la découverte de centaines de manuscrits dans les grottes autour de la mer Morte a plutôt confirmé que l'hébreu était encore utilisé, au moins comme langue "cultivée", jusqu'à la fin de la troisième guerre juive en 135 après J.-C.).C.).
Sur la base d'une étude linguistique approfondie de ces évangiles pendant une vingtaine d'années, il s'est fait l'avocat de leur rédaction originale en hébreu, et non dans le grec dans lequel ils nous sont parvenus, mais aussi de leur datation aux alentours de l'an 50. Carmignac a présenté sa thèse dans son ouvrage La naissance des évangiles synoptiques.
Marque
C'est l'Évangile le plus ancien (entre 45 et 65 ap. J.-C.). Il serait à la base de la triple tradition synoptique. Selon les spécialistes, il dérive de la prédication de Pierre lui-même, en Palestine mais surtout à Rome. Jean Carmignac pense que cet Évangile a été écrit, ou dicté, par Pierre lui-même, en hébreu (ou en araméen) vers l'an 42, et qu'il a ensuite été traduit en grec (comme l'écrit Papias de Hiérapolis dans son ouvrage Exégèse de la Lògia Kyriakà) par Marcos, hermeneuta (interprète) de Pierre, vers l'an 45 (comme le soutient également J. W. Wenham) ou, au plus tard, vers l'an 55.
En effet, dans la Exégèse de la Lògia kiriakàD'où Eusèbe de Césarée cite des fragments dans l'Histoire ecclésiastique (Livre III, ch. 39), Papias écrit :
Mark, qui était l'herméneute [interprète] de Pierre, il écrivit exactement, mais sans ordre, tout ce qu'il se rappelait de ce que le Seigneur avait dit ou fait. En effet, il n'avait ni entendu ni accompagné le Seigneur, mais plus tard, comme je l'ai déjà dit, il a accompagné Pierre.
Clément d'Alexandrie, Origène, Irénée de Lyon et Eusèbe de Césarée lui-même nous livrent des témoignages similaires.
Matthieu
Cet évangile aurait été écrit vers 70 ou 80 après J.-C., résultat d'un recueil de discours en hébreu ou en araméen (lògia), recueillie et utilisée par l'apôtre Matthieu entre 33 et 42 après Jésus-Christ au cours de ses activités d'évangélisation parmi les Juifs de Palestine (source Q également utilisée par Luc).
Cette information est confirmée par Papias : "Matthieu a donc rassemblé les lògias en langue hébraïque, et chaque hermeneuta [il les a traduits] du mieux qu'il a pu. Irénée de Lyon (disciple de Polycarpe de Smyrne, lui-même disciple de l'évangéliste Jean) a également écrit en 180 après J.-C. (in Contre les hérésies).
Matthieu a publié son évangile destiné aux Juifs dans sa langue maternelle, tandis que Pierre et Paul prêchaient à Rome et fondaient l'Église ; après sa mort, Marc, disciple et traducteur de Pierre, a également transmis par écrit la prédication de Pierre ; Luc, compagnon de Paul, a mis par écrit ce qu'il prêchait.
Des témoignages anciens similaires nous viennent de Panthène, Origène, Eusèbe de Césarée. Selon Carmignac, l'Évangile de Matthieu date de l'an 50.
Lucas
Selon de nombreux spécialistes, cet évangile aurait lui aussi été écrit dans les années 1970 ou 1980. On estime généralement que l'Évangile de Luc est la compilation la plus fidèle à l'histoire de l'Évangile de Luc, et qu'il est basé sur la source Q (également utilisée par Matthieu et, de l'avis de plusieurs historiens et biblistes, la version la plus ancienne de l'Évangile de Marc), complétée par des recherches personnelles effectuées sur le terrain (comme l'indique l'auteur lui-même dans le prologue).
Carmignac pense que l'édition de Luc date de 58-60, voire peu après 50 (hypothèse soutenue par Wenham et d'autres).
Jean
C'est le seul Évangile non synoptique, longtemps considéré comme le moins "historique", jusqu'à ce qu'une étude attentive de celui-ci révèle qu'il est au contraire, d'un point de vue géographique et chronologique, un document encore plus précis que les Évangiles précédents (en effet, il intervient pour clarifier ce qui a été ou n'a pas été raconté par les autres).
La terminologie riche et précise et les informations topographiques, chronologiques et historiques claires et sans ambiguïté ont permis, entre autres, de reconstituer en détail le nombre d'années de prédication de Jésus, de dater les événements de la Pâque dans un calendrier plus précis et de découvrir des pièces archéologiques identifiées par la suite avec les lieux décrits par Jean (le prétoire de Pilate, la piscine de probation, etc.). Elle date, pour beaucoup, des années 90-100 ap. Carmignac, Wenham et d'autres la situent cependant peu après 60 après J.-C.
Enfin, il convient de noter que le fragment le plus ancien du Nouveau Testament canonique correspond précisément à l'un des évangiles, celui de Jean. Il s'agit du papyrus 52, également connu sous le nom de Rylands 457, trouvé en Égypte en 1920 et daté entre le IIe et le IIIe siècle de notre ère.
D'un point de vue historique, la proximité entre l'édition de l'œuvre elle-même (comme nous l'avons écrit, entre 60 et 100 ap. J.-C.) et la plus ancienne trace écrite retrouvée de l'œuvre est la suivante surprenantLe plus ancien manuscrit de l'Iliade retrouvé date de 800 après J.-C., alors que l'œuvre elle-même aurait été écrite vers 800 avant J.-C. !